Le cri du cinéphile le soir au dessus du Web...

vendredi, juillet 15, 2005

SANG ET OR - Jafar Panahi


Jafar Panahi, c'est un peu le "n°3" du cinéma Iranien, si Abbas Kiarostami et Moshen Makhmalbaf sont respectivement 1 et 2... Son cinéma est plus énergique, moins contemplatif que celui des deux autres, et aussi plus "rentre-dedans", car Panahi aime se confronter directement aux problèmes posés par la société Iranienne (pas que contemporaine, d'ailleurs), dans une certaine mesure, bien sûr, car aucune allusion explicite au pouvoir théocratique n'y est faite. Même si l'on comprend aisément que l'Islamisme est loin de permettre l'épanouissement des femmes. Mais contrairement au Cercle, son précédent et admirable film sur l'oppression des femmes, dans Sang et Or, son dernier film en date (édité en dvd dans la collection "2 films de" des Cahiers du Cinéma, avec Le Ballon Blanc, son 1er, très beau, long-mêtrage), ici l'on parle surtout des hommes. Et la société de Téhéran, toutes proportions gardées, n'est pas plus tendre avec le sexe "fort".
Le scénario, signé Abbas Kiarostami en personne (il avait également écrit Le ballon blanc et Panahi était assistant réalisateur sur Au Travers des oliviers), prend comme point de départ un fait-divers réel en apparence banal (comme pour son célèbre Close-up, film qui entretient d'ailleurs de nombreux liens thématiques avec celui-ci, en particulier, la réflexion sur l'identité, sur l'individu) qui va servir de détonateur, de révélateur: un livreur de pizza braque une bijouterie, abat le propriétaire avant de se suicider. C'est la première scène, magistrale, filmée en long plan-séquence quasiment fixe à l'intérieur de la boutique, avec en arrière-plan, la porte d'entrée donnant sur la rue, et les passants, les témoins qui vont et viennent, jusqu'au coup de feu fatal, hors-champ dont on entend uniquement la détonation, avant de basculer ensuite dans un flash-back amené de façon imperceptible, grâce à un montage stupéfiant de maîtrise... Panahi va ensuite nous raconter le cheminement implacable, inéluctable de la tragédie à venir, dans une suite de scènes soulignant à divers niveaux l'incapacité d'Hossein à trouver sa place dans la société iranienne entre représsion d'un état policier autoritaire, règles religieuses étouffantes, inégalités sociales accrues par l'irruption d'un capitalisme mal maîtrisé... On comprend comment un homme apparemment sympathique, serviable, généreux, honnête peut basculer dans la violence et la délinquance. La démonstration est implacable, car elle est de plus dénuée de tout didactisme, de tout discours moralisateur, de toute complaisance. On pense à Bresson, à Haneke, mais aussi au cinéma américain, dans ce qu'il a de meilleur: les polars "sociaux" de la Warner des années 40-50, Cassavetes, Kazan, Scorsese (l'excellent acteur qui incarne le beau-frère de Hossein est une sorte de Joe Pesci iranien, en moins psychopathe, tout de même)
Un film vraiment passionnant, à découvrir...