Le cri du cinéphile le soir au dessus du Web...

lundi, juillet 11, 2005

David CRONENBERG et NAKED LUNCH

L'Epouvantable acceptation de l'Impossible.


Hassim Sabah, le personnage créé par William Burroughs dans son plus célèbre roman The Naked Lunch/Le Festin Nu, l'homme qui préside les orgies "mutantes" les plus cauchemardesques de l'Interzone, proclame lors d'une de ses hallucinantes bacchanales : "Nothing is true, Everything is permitted!". Principe au moins aussi fort que le célèbre "Si Dieu n'existe pas, tout est permis" Dostoievskien, il permet surtout à l'auteur d'inscrire sa fiction dans un cadre "autre" fait de repères nouveaux en préparant le lecteur à être plongé peut-être moins dans un monde "non-réel" que dans une "autre réalité". David Cronenberg place cette affirmation en exergue de son adaptation de ce livre réputé "inadaptable", comme un avertissement, une mise en garde, mais aussi comme une invitation à s'immerger dans la fiction cronenbergienne en acceptant de réfuter pour un temps les principes qui régissent notre réalité. Mais la négation de ce réel peut-elle s'accomplir de la même façon dans le cadre de l'expérience de l'écrit et dans le cadre de l'expérience cinématographique?
Les théoriciens de la sémiologie de l'image comme Christian Metz, dans Le Signifiant Imaginaire ont en étudiant le rapport du spectateur au film, mis l'accent sur l'unicité de cette relation. L'expérience du film est bien distincte de l'expérience qu'a l'individu de la peinture, de la musique et, bien sûr, de la littérature. Le film est pour user d'une expression en vogue l'expérience la plus complète de "réalité virtuelle" (ce 2e terme étant plutôt ambigü, puisque sa racine le rapproche de la vérité) dans l'histoire des techniques artistiques. Le film est un monde recréé. Le spectateur de cinéma en acceptant de se plier aux règles d'une autre réalité, celle du film, ne jouit pleinement de cette expérience que si -paradoxalement- celle-ci entretient un rapport étroit avec le monde qui nous entoure. (et contrairement à ce que la tyrannie du "cinéma-évasion" soi-disant loué par le "grand public" pourrait laisser croire, cela est également vrai du cinéma dit de "divertissement") Dès lors et même dans le cadre d'un film qui se veut une rupture avec un univers familier, le nôtre, la puissance de l'acte d'immersion dans un "autre" univers sera conditionnée par les liens qui subsistent entre ces deux réalités et non par ce qui les dissocie. Dans des films de cinéastes proches de Cronenberg comme Kubrick et Lynch, ce qui, bien souvent, nous trouble le plus, c'est moins le tourbillon de visions surréalistes ou les séquences oniriques que les références à des éléments qui nous sont familiers. Etrangement familiers, voire quotidiens. Les déchirements du couple dépeints dans The Shining, la description maladive des rapports familiaux entreprise dans Eraserhead ou Twin Peaks nous impressionnent autant, sans doute parcequ'ils ne sont pas si "étranges" que cela.
Ainsi le travail de déconstruction du matériau littéraire élaboré par Burroughs dans toute son oeuvre, ce fameux "cut-up" se propose d'être le premier vecteur de passage vers une autre réalité. Une autre réalité d'ordre esthétique, mais aussi scientifique, biologique, politique, sexuelle etc. La problématique de l'adaptation pour Cronenberg se présentait d'elle-même :comment transformer cette recherche formelle écrite en travail sur la matière filmique? Comment faire de Naked Lunch le film l'équivalent pour le cinéma de ce que représente pour l'art romanesque, Naked Lunch le livre ? Ouvrons une parenthèse : en stigmatisant les terribles carences del'adaptation qu'avait osé tenter Joseph Strick du légendaire Ulysses de Joyce, Tavernier et Coursodon dans leurs "50 ans de cinéma américain" ont souligné qu'on ne peut prétendre transposer un roman qui constitue une vertigineuse expérimentation formelle (les auteurs emploient le terme de "laboratoire") en se contentant d'en reprendre uniquement les éléments narratifs, le contenu "factuel" sans essayer d'entreprendre le même travail esthétique sur l'image. L'oeuvre de Burroughs n'étant pas éloignée de celle de Joyce pour tout ce qui a trait à la recherche sur l'écrit, les mêmes dangers semblaient planer sur le projet de Cronenberg. Et, contre toute attente, si le film de Cronenberg est une telle réussite, c'est justement parce qu'il a pris une option radicalement opposée. En effet, en restant dans la logique de ses oeuvres précédentes, Cronenberg persiste dans un filmage "à froid" : du "laboratoire" Burroughsien il n'en retient que la rigueur clinique. Pas de fioritures. C'est un fantastique - quel paradoxe ! - "rationnel" que nous offre Cronenberg, dont les films entretiennent d'ailleurs plus de rapports avec la science-fiction qu'avec le fantastique "surnaturel". (Mais depuis le Frankenstein de Mary Shelley, oeuvre fondatrice, la frontière entre les deux genres a toujours été mince). Seules quelques scènes, quelques images de The Fly ou de Dead Ringers renvoient à une horreur plus "gothique". Cronenberg ne cède jamais à la tentation du détail "étrange" pour "faire de l'étrange".
Le voyage de Bill Lee en Interzone possède un aspect terriblement casual (il n'existe pas vraiment d'équivalent français à ce terme typiquement anglo-saxon,parfois traduit, pour une personne par "naturel, détaché, désinvolte" oupour un événement, "fortuit, accidentel, au hasard"). Il a sa logique interne, cohérente jusqu'au malaise, jusqu'à la suffocation. Une logique de cauchemar. Une vraie. Car si Cronenberg a bien retenu quelques leçons de Bergman, l'un de ses principaux inspirateurs, c'est que, contrairement à ce que semblent croire certains cinéastes, nous ne faisons pas nos cauchemars en grand angle, en images déformées, au ralenti ou avec des voix distordues, à l'écho démultiplié. Non, comme dans Les fraises sauvages, le cauchemar ou, ici, l'hallucination (?) du junkie, ne perd jamais son aspect "ordinaire", ce qui lui confère une sobriété, une force sans égales et un potentiel horrifique bien plus efficace. Se souvenant une fois de plus de Shining, Cronenberg a sans doute compris que le comble de l'horreur pouvait tenir dans l'absence de réaction d'épouvante face à quelque chose d'épouvantable. Dans le chef-d'oeuvre de Kubrick, face à l'apparition du barman dans un hôtel supposé être désert, puis face à Grady, l'ancien gardien, Jack Torrance n'a aucune réaction de surprise ! Pire: il engage la conversation ! Pareillement d'un ton "naturel, détaché et désinvolte" (casual), William Lee (avec tout le talent d'un Peter Weller vraiment "habité" par son rôle), répond spontanément aux propos de sa "machine à écrire-insecte" Clark-Nova (qui lui déclare d'ailleurs qu'"il ne sert à rien de feindre la surprise" - la feint-il seulement? - un mouvement de recul presque imperceptible fait office de réaction!) puis au Mugwump, (créature reptilienne présentée comme un "spécialiste de l'ambivalence sexuelle") dès leur première apparition. Nous atteignons ici, à mon sens, quelque chose de mille fois plus insupportable qu'une réaction de surprise, d'horreur et/ou de fuite.
Tout au long de Naked Lunch, Lee finit par accepter l'impossible ; il se drape de cet univers fantasmagorique qui peu à peu prend le pouvoir. Il s'en enveloppe tel un linceul finalement horriblement... "confortable" ! Et le film ne décrit pas la lutte, le combat que mènerait dans un autre film le protagoniste pour échapper à cette contamination du réel par l'irréel. Tout simplement parce que le fantastique Cronenbergien ne place pas ses enjeux dans la problématique traditionnelle et un peu réactionnaire de la dialectique "invasion/réaction" type "maison hantée" ou "possession". Toutes proportions gardées, l'on a l'impression, dans Naked lunch, comme dans la plupart des films de Cronenberg depuis Shivers, que la menace que représente l'"anormal" pour le "normal" est moins importante que celle que fait peser le "normal" sur l'"anormal". L'"impossible", l'"irréel" est menacé d'extinction par les forces du "réel" et met donc en activité ses systèmes de défense, comme un dangereux virus engagé dans la lutte pour la survie contre des anticorps ou des médicaments censés le faire disparaître. Et c'est bien, une fois de plus du côté de Shining que nous nous retrouvons : l'hôtel Overlook n'est-il pas semblable à quelque organisme vivant "menacé" par l'intrusion d'éléments "nuisibles?" Cette vision du fantastique ne semble être que fondamentalement pessimiste. Mais ce n'est pas si simple. Revenons à Naked Lunch: Lorsque Hank et Marvin, les amis "écrivains" de Lee (si Bill est la projection de Burroughs, les deux autres sont des "doubles" de Kerouac et Ginsberg, écrivains amis proches de l'auteur) le retrouvent enfin, l'espoir d'un retour à la réalité, d'une fuite hors de l'Interzone, cet univers halluciné probablement issu d'une consommation massive de stupéfiants, semble effroyablement mince. On y sent ce côté "Doomed", "perdu d'avance" commun à Kubrick et Cronenberg. D'abord, parcequele cinéaste canadien ne nous a pas habitué aux "happy ends" (le dénouement de Naked Lunch ne serait pourtant pas le plus "tragique" dans son oeuvre), ensuite parce que semble déjà poindre la résignation toute cronenbergienne du héros visionnaire, qui vit ses derniers instants de confusion (il nie avoir jamais écrit un livre intitulé The Naked Lunch, il ne se reconnaît pas dans les pages que lui brandissent sous son nez Hank et Marvin: mais sa propre fiction l'a déjà absorbé : il est déjà passé de l"autre côté" !) avant d'entamer la dernière ligne droite vers le stade ultime de"renaissance" ou le dernier pas à franchir vers la nouvelle réalité devenue"unique" réalité. Le héros Cronenbergien est un jusqu'au-boutiste : il ne peut mais ne veut pas non plus stopper ou inverser le processus. (il en va ainsi pour Nola dans The Brood, Brundle dans The Fly, les jumeaux Mantle dans Dead Ringers, René Gallimard dans M.Butterfly et bien sûr, de Vaughan dans Crash). Aller au bout, poursuivre la métamorphose jusqu'à sa dernière phase (pour Bill Lee, c'est s'accepter en tant que "créateur", y compris de sa propre réalité sexuelle : inventer sa propre forme de sexualité est une des obsessions de Cronenberg) se concrétise par le "meurtre-suicide" (les deux actes semblent toujours liés chez l'auteur, cf. The Dead Zone, par exemple. Citons également les actes "désespérés" de Travis Bickle dans Taxi Driver de Scorsese, un film dont l'influence sur Cronenberg est évidente), geste à la fois blasphématoire et sacré par son aspect sacrificiel. Tuer et/ou se tuer, sacrifier sa raison, sa vie ou les deux. Tel est le prix à payer pour accéder à la renaissance, à la "nouvelle chair" (Videodrome).Bien sûr, comme tout film-monde ou "film-cerveau" (l'expression inventée par Deleuze pour évoquer Shining peut correspondre à Naked lunch et à Videodrome mais aussi à des films d'autres cinéastes d'inspiration proche et assez comparables dans leurs enjeux : Taxi Driver, King of Comedy, After Hours, Bringing Out the Dead pour Scorsese, Barton Fink des frères Coen ou Kafka de Soderbergh, oeuvres qui entretiennent des rapports assez étroits sur le plan thématique et symbolique), la mort du protagoniste, qu'elle soit réelle, rêvée ou purement métaphorique, se pare de résonances apocalyptiques. Une fois que la réalité créée par le héros est devenue seule réalité, ce que la disparition de celui-ci entraîne, n'est rien d'autre que la fin du monde. A la fin de Naked Lunch, pourtant, Bill ne meurt apparemment pas. C'est la Femme avec un grand F (comme Frost, son nom, qui signifie "givre, gel" en anglais : rappelons que les dernières images du film se déroulent dans un environment glacé), cette inconnue un peu terrifiante, cette "extra-terrestre" dirait Burroughs, homosexuel paranoiaque qui, au summum de son délire présentait les femmes comme une "autre race" complotant l'extermination des hommes (évoquons une fois de plus Taxi Driver, et Travis Bickle tenant dans son monologue halluciné de semblables propos, Wendy Torrance devenant l'"ennemie" que Jack doit éliminer dans Shining, mais pourquoi pas aussi sur un ton plus léger le "it's a totally different sex!" du Some like it hot ! de Billy Wilder).C'est "la dernière femme" assassinée par Bill, tirant sur la femme de l'écrivain Tom Frost (Ian Holm) ("double" de Paul Bowles) en répétant cette fois de manière intentionnelle, l'"accident"(?) de "the William Tell routine" où Joan Lee (l'épouse du héros, qui porte le même prénom et le même visage) a trouvé la mort. En dehors de la référence à l'"accident" bien réel survenu dans la vie de Burroughs, "tuer une deuxième fois" cette femme est peut-être la deuxième phase d'un rite de "passage" dont l'enjeu est l'auto-affirmation brutale de Bill Lee en tant qu'écrivain ET homosexuel. Les liens métaphoriques unissant chez Burroughs homosexualité et création littéraire sont ici soulignés par Cronenberg. Produire et (se) reproduire sont deux notions fusionnant dans l'imaginaire Burroughso-Cronenbergien. La reproduction d'un être sans accouplement (cf.les références à la reproduction des poissons dans Dead Ringers) a toujours été une préoccupation majeure chez le cinéaste: les "enfants" de Nola dans The Brood, les "télépodes" de The Fly ou le "fils" de Gallimard et Song-Li dans M.Butterfly en sont les exemples les plus frappants. Il s'agit en fait de provoquer la rupture totale entre reproduction et sexualité. Dans Naked Lunch, l'homosexuel, en inventant sa propre sexualité, recrée le monde, au mépris de lois "naturelles" et disloque l'image inconsciente de la "scène primitive" en lui substituant une autre : l'accouplement monstrueux entre Kiki et Cloquet que Bill surprend, vision phobique, cauchemardesque de l'homosexuel "honteux", d'abord terrifiante (et là, Bill est véritablement horrifié) puis finalement accepté en tant que passage obligé vers un monde définitivement "autre". Dès lors, comme Max Renn (Renn comme dans "ren(n)aissance" bien sûr) dans Videodrome, Lee peut dire adieu au vieux monde et saluer l'apparition d'une nouvelle réalité, d'une "nouvelle chair". Une nouvelle aventure commence. Mais nous n'en saurons rien : la fiction cronenbergienne ne nous accueillera pas plus avant et nous plante à la frontière enneigée d'Annexia, le territoire limitrophe de l'Interzone. Seul Lee fera le voyage. Avec la même expression de froide résignation qui l'a caractérisé tout au long du film, Peter Weller-William Lee entame un périple qui le conduira au delà du pouvoir des mots, du pouvoir de la fiction. La "deuxième mort" de la Femme prend tout l'aspect définitif, et auto-destructeur du sacrifice d'un monde, d'une réalité mentale individuelle élevée aux dimensions d'un univers tout entier. Comment ne pas évoquer une fois de plus ce grand film fondateur qu'est le Vertigo d'Alfred Hitchcock où déjà un homme s'efforçait de recréer le monde au gré de sa psychose morbide, de son obsession nécrophile, et où, loin de revêtir un aspect libérateur, la "deuxième mort" de l'élément féminin, comme l'avait souligné Martin Scorsese (jamais loin de Cronenberg, décidément), "plonge définitivement son protagoniste en enfer, entraînant le spectateur et l'univers tout entier avec lui". Cependant toute fin du monde suppose généralement l'apparition un jour ou l'autre d'un nouveau monde. Et pour être tragique ou fataliste, le dénouement de Naked Lunch n'est pas, répétons-le, la plus "noire", en apparence du moins, des conclusions imaginées par Cronenberg (à l'instar de celle de Crash, avec ses insistantes allusions à une "prochaine fois" illusoire sans doute mais (maigre) espoir tout de même d'un passage réussi vers une autre réalité). S'il y a, malgré tout, dans ces deux films, une sorte de croyance en un "mieux", c'est moins parce qu'ils constitueraient un éloge de la fuite selon Cronenberg, que parcequ'ils occupent, surtout Naked Lunch, une place capitale dans l'œuvre d'un artiste, celle d'une synthèse, d'un "manifeste" esthétique et thématique, et qu'à ce titre, le cinéaste ne peut s'y résoudre à laisser le pessimisme et la négativité tout envahir. Tout cela n'enlève bien sûr rien au pouvoir inquiétant, oppressant, de Naked Lunch. Le recours à des décors non-naturels, contrainte imposée à l'époque par le refus des actionnaires américains du film d'engager une production en Afrique du Nord pendant la Guerre du Golfe (!) renforce ce sentiment déstabilisant d'irréel, d'artificialité (et là, c'est le cinéma de Resnais qui peut être évoqué, le mugwump pouvant d'ailleurs être un "cousin" des monstres de Je t'aime, Je t'aime ou de La Vie est un Roman, et la contamination du réel par l'imaginaire littéraire, et réciproquement, renvoie bien sûr à l'incontournable Providence). Pourtant, comme je l'ai déjà dit, c'est bien l'aspect "ordinaire" de ce cauchemar éveillé (qui n'est peut-être que la longue rêverie d'un junkie effondré sur un trottoir new-yorkais) qui lui donne son aspect à la fois confortable et malsain et suscite le malaise. Le spectateur du film, étant invité à l'instar du héros à renoncer à lutter contre l'irréel sent avec horreur qu'à son tour, il va ressentir ce sentiment d'indifférence, de résignation face à ce qui obéit à une réalité "autre" au point d'y trouver quelque chose de "familier", de déjà vu. C'est ce qui se produit également à la vision de Crash, la bonne idée de Cronenberg étant de bâtir sa fiction (comme J.G. Ballard, bien sûr dans le roman d'origine) sur deux éléments "ultra-ordinaires" de notre société : la voiture et le sexe, pour délivrer à partir de cette "trivialité" une troublante expérience psychotrope stimulant notre intellect, nos sens et nos affects.(Quant à la télévision, autre balise "incontournable" du quotidien, c'était déjà fait avec Videodrome). De la même manière, mais dans une optique bien plus baroque, un autre cinéaste proche de Cronenberg et qui a plus que sonprénom pour le prouver, je veux parler de David Lynch, a fondé une grande partie de son pouvoir de fascination et d'angoisse sur les innombrables références aux principaux éléments constituant le paysage moderne de nos cités et de nos domiciles (dans Lost Highway, les interphones, les téléphones portables, les cassettes vidéo, les caméscopes etc. sont les détonateurs du plongeon dans la terreur) Dans Shining, film décidément incontournable, l'horreur naissait, répétons-le, de l'indifférence affichée par Torrance face au surnaturel. Pour traumatisante qu'elle soit (et il est vrai que, sur le moment, Jack est véritablement terrifié) sa rencontre avec l'"hôte" de la chambre 237 est moins insupportable que ce même jack affirmant à sa femme, quelques instants après, qu' "il n y a rien ni personne là-bas" (je cite de mémoire). Le personnage finira d'ailleurs totalement "absorbé" par l'irréel (cf. la photo de la fin) comme si c'était -en quelque sorte- ce qu'il avait toujours souhaité. Entrer dans la nouvelle réalité, la "pénetrer", c'est également le souhait de la plupart des héros de Cronenberg (cf. Max et l'écran TV "absorbant", Brundle et le "bain de plasma") et si cela revient à tirer un trait sur l'ancien monde, la vieille chair ou notre réalité, tant pis :c'est le prix à payer. Le meurtre ou le suicide, voire les deux, pouvant achever le processus.
Un critique du Masque et La Plume, Philippe Colin, je crois, guère amateur de Cronenberg avait signifié son agacement devant M.Butterfly en comparant son protagoniste et son aveuglement à l'Inspecteur Clouseau (Peter Sellers) le personnage de la célèbre série de films de Blake Edwards (une des plus belles "gaffes" de Gallimard étant de prédire un règlement rapide et à l'avantage des américains de la guerre du Vietnam!). En faisant cet audacieux parallèle, Il pensait évidemment accabler Cronenberg. En ce qui me concerne, ce rapprochement me ravit ! En effet, en plus de souligner indirectement l'aspect pathétique du héros Edwardsien (on sait bien que le réalisateur de The Party n'est pas qu'un simple "amuseur") ET l'humour "froid", très "pince-sans rire", délibérément distillé par Cronenberg (car, lui, en revanche n'est pas qu'un "tragique" : je citais tout à l'heure Some Like It Hot! Mais René Gallimard n'applique t-il pas à son existence toute entière le célebrissime "Nobody's perfect!" qui clot le chef-d'oeuvre de Wilder? ), il met exactement l'accent sur l'élément central du rapport qu'entretient le héros cronenbergien avec le réel : l'horreur - parfois teintée de dérision, il est vrai - naissant non plus de la destruction de ce réel mais de l'acceptation résignée d'une autre réalité, appelée, souhaitée et terrifiante parce que vraisemblable.

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Wow.
Pour moi qui adore ce film (et CRONENBERG en général), ca fait du bien.
Mon film de chevet presque.
D'ailleurs, je n'ai pas lu le livre...

Merci

20 mars, 2007 21:55

 

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