Le cri du cinéphile le soir au dessus du Web...

samedi, juillet 09, 2005

En épluchant L' ORANGE MECANIQUE (2)

2. ORANGE MECANIQUE A VIEILLI?

Avec Dr. Strangelove, A Clockwork Orange est sans doute le film le plus explicitement "politique" de Kubrick. Mais par "politique", je veux dire le plus explicitement tourné vers la société, la place de l'individu dans la cité, les rapports de force et de domination-soumission qui sous-tendent l'organisation de cette société, des thèmes qui sont bien sûr traités dans tous ses films mais qui apparaissent de façon particulièrement brutale ici. Qu'on ne se méprenne pas, lorsque je parle de politique, je ne veux surtout pas parler d'idéologie. Quiconque connaît un tant soit peu le cinéma Kubrickien ne peut pas ignorer à quel point le cinéaste rejette tout rapprochement avec une doctrine politique quelle qu'elle soit. Pourtant, une approche hâtive pourrait presque faire passer Orange Mécanique pour un "film à thèse". Certains ont même cru bon pour dénigrer le film de prétendre que son "message" avait "vieilli", qu'il s'adressait à l'époque de sa sortie à une génération de "rebelles" et qu'il était donc maintenant "hors du coup". En gros, Orange Mécanique serait un film "baba-psyché-LSD-rebelle-70's" et démodé, tel un vulgaire Easy Rider, mais revu façon ultra-violence. Sottise. Outre le fait que si Orange était bien l'un de ces films, il serait -justement- très "mode", à en juger par la persistance d'un revival 70's qui n'en finit pas d'envahir clips, pubs et défilés de mode de toutes sortes, il me paraît absurde d'affirmer que le discours que développe Kubrick (et qu'a initié Burgess, bien sûr) serait "passé" de mode, tant sa portée universelle, son acuité, sa précision, sa lucidité semblent aujourd'hui, comme elle l'étaient hier et comme elle le seront demain, d'une pertinence, d'une exactitude indéniables, tout du moins jusqu'au jour où l'on aura trouvé le moyen d'éradiquer la violence, la barbarie de la surface du globe, ce qui n'est justement pas pour demain! Orange Mécanique est TOUT sauf un film "rebelle", "révolutionnaire", "anarchiste", "révolté" etc. Ses enjeux, bien plus intéressants, bien plus adultes sont situés ailleurs, j'y reviens plus avant. Quant au décor, au mobilier lui aussi "kitsch" et "démodé", c'est faire injure à Kubrick que de croire qu'il n'était pas lui-même conscient que ces décors étaient déjà d'un horrible mauvais goût en 1971, et que pointer du doigt cette laideur n'était pas intentionnelle... Ne parlons même pas du faux procès idiot, inepte, que certains voudraient faire à un film qui serait dépassé sur le plan " technique ", sur le plan du "rythme" et autres absurdités. Là aussi : d'une part, on fera observer à ceux-là, dont la perception de spectateur a dû subir les ravages de projections répétées de produits hollywoodiens au filmage épileptique et à la virtuosité aussi "déjantée-destroy-hallucinante-de-la-balle" que stérile et vide de sens, à ceux qui considèrent comme l'acmé de la modernité dans le domaine de l'expression artistique des dessins animés produits à la chaîne, d'une pauvreté esthétique affligeante et d'un simplisme conceptuel consternant -- clichés larmoyants et métaphysique de bazar assénés à coups de truelle, mais auxquels une origine nippone, une appartenance à une certaine "culture" semblent conférer une sorte d'immunité diplomatique du jugement critique les rendant purement et simplement inattaquables, à ceux-là donc et à quelques autres, on rétorquera que le cinéma de Kubrick n'est pas "démodé" par rapport à ceux qui, éloignés de la veulerie démagogique des grands studios ET de la pseudo-indépendance de quelques soi-disant "rebelles" ne faisant que développer un système parallèle de production aussi "ciblé" et "calculé" que les gros budgets auxquels on fait semblant de les opposer, continuent, humblement, courageusement, de pratiquer un cinéma dont la priorité reste l'art avant le commerce : Manoel de Oliveira, Abbas Kiarostami, Otar Iosseliani, Belà Tarr, Joao Cesar Monteiro, Peter Greenaway, Arturo Ripstein, Michael Haneke, Hou Hsiao Hsien, Lodge Kerrigan, Bruno Dumont, Tsai Ming-Liang, Darejan Omirbaev, Alexandre Sokourov, Théo Angelopoulos, Alain Cavalier, Ermanno Olmi et d'autres de plus en plus rares hélas. Il est bien dommage, précisément que (presque) plus personne ne fasse de films comme ceux de Kubrick, Bergman, Dreyer, Kurosawa, Bunuel, Fellini, Tarkovski et d'autres grands maîtres. Quant au plan purement "technique", donc, en fait "technologique" qui consiste à opposer un film fait avec les moyens disponibles en 1971 à ceux faits avec les moyens disponibles en l'an 2005, mieux vaut en rire: pourquoi ne pas reprocher aussi au Cuirassé Potemkine de n'être ni parlant, ni en couleurs, ni en cinémascope, ni en dolby-super-surround-THX-DTS??? Allez, un peu de sérieux. Fin de la parenthèse sur le "vieillissement" d'Orange Mécanique !
3. NOUS SOMMES TOUS DES ALEX. Ou l'illusion du "révolté".
La figure du masque est un leitmotiv incontournable dans le cinéma Kubrickien (et je parle du véritable masque: de Sterling Hayden à Jack Nicholson, en passant par Peter Sellers ou James Mason, et sans oublier d'innombrables seconds couteaux aux trognes inoubliables, les masques "humains" de ces visages tour à tour impassibles, "monolithiques" ou secoués de convulsions quasi-telluriques marquent tout autant le spectateur) et la critique Kubrickienne n'a pas manqué d'en démontrer la signification, Michel Ciment le premier dans son ouvrage de référence. En dehors du trouble que provoque son apparition souvent incongrue, déstabilisante, le masque Kubrickien, la "persona" de la tragédie grecque, n'est pas le moindre des signaux de mise en garde qu'adresse le cinéaste à son public dans son approche profondément sceptique de la société. Méfiance. Rien de bêtement paranoïaque, là-dedans: il ne s'agit pas de dire simplement "le mal s'avance masqué" ou encore, "ne vous endormez pas!" comme dans une SF des années 50, où la possibilité d'une victoire contre le mal, non pas en tant qu'aboutissement d'une démarche éthique mais en tant que simple dénouement conventionnel de la fiction manichéenne archétypale de la lutte bien contre mal, héros contre vilain, gentil contre méchant, est toujours plus ou moins suggérée. L'avertissement qui clôt le The Thing original de Niby et Hawks est une mise en garde sous la forme d'un appel au combat, combat que l'on peut gagner. La vision Kubrickienne est plus ambiguë. On a pu la qualifier de pessimiste, de misanthrope voire d'inhumaine. Caricature! Bien au contraire. Si Kubrick semble nous toucher autant, nous déstabiliser autant, c'est bien précisément parce que son sujet fondamental de préoccupation reste l'homme, l'humain. En deux mots, si Kubrick ne s'était pas autant intéressé justement à ses semblables, il aurait fait un autre métier. Bouclons ici le dossier "misanthropie", l'un des plus graves contresens faits sur le cinéaste en soulignant seulement que ce faux pessimisme n'est que l'affirmation lucide de la difficulté que l'humain va devoir affronter pour vaincre sa pulsion meurtrière. Suggérer, comme dans 2001, que le progrès technologique va de pair avec la "volonté de puissance", avec l'instinct de meurtre, n'est pas "excuser" ou "légitimer" la violence, même en tant qu'"accoucheuse de civilisation". Montrer un Alex "guéri" à la fin d'Orange Mécanique, n'est pas pour Kubrick synonyme de défaitisme, de cynisme, voire de nihilisme. Orange Mécanique n'est pas, comme l'ont indiqué à tort certains critiques pressés ou bigleux, un ancêtre de Fight Club, bien trop maladroit, tant le sujet -intéressant par ailleurs- semble échapper à David Fincher, cinéaste pourtant assez loin du marasme hollywoodien, mais pris à son propre piège de "mise en accusation" de la société. Non. JAMAIS Kubrick n'a voulu faire dans Orange Mécanique la moindre concession à une légitimation de la violence. Bien au contraire. Mais l'une des sources de ce malentendu vient précisément de l'un des aspects les plus importants du cinéma de Kubrick qui est justement de parvenir, sans jamais céder à l'apitoiement, à éveiller en nous une certaine empathie avec ses protagonistes: oui, nous pouvons avoir de la sympathie pour ses personnages, autant que pour un Richard III, au sens fort de la sympathie: nous compatissons; c'est la même chose: nous souffrons "avec" eux (mais non pas "pour" eux, c'est bien là, la différence fondamentale avec la fiction mélodramatique cuculienne et clichetonneuse!). Et ce qui est capital, c'est que Kubrick en nous faisant assister à la "monstrueuse parade" d'Alex ne tombe dans aucun des deux pièges les plus fréquents des films "à message", "contre la violence", "pour la tolérance" et bla-bla-bla ou se proposant d'étudier les rapports "monstre/société", "normal/anormal" etc. : il ne procède ni à l'inversion simpliste "le monstre est gentil et les gens "normaux" sont les méchants", ni au cliché de l'innocent accusé à tort: combien de films soi-disant contre la peine de mort racontent en fait l'histoire d'un personnage victime d'une erreur judiciaire que l'on tente d'arracher à la peine capitale? Combien de films soi-disant anti-MacCarthistes, racontent l'histoire d'un individu accusé à tort qui tente de prouver qu'il n'est PAS communiste!!! Kubrick répondait justement à Ciment là dessus en disant qu'il avait voulu éviter le piège dans lequel tombent ces innombrables films hollywoodiens des années 40-50 soi-disant "contre" le lynchage, où l'on nous dit -en gros- qu'il ne faut pas lyncher les innocents, alors qu'on devrait plutôt dire qu'il ne faut jamais lyncher personne! Comme tous les personnages de Kubrick, Alex, puisqu'il s'adresse directement au spectateur (là aussi, serait-il possible de croire ne serait-ce qu'un instant à une coquetterie de style gratuite?), en l'appelant son "frère" et son "ami", il pourrait tout aussi bien dire "mon semblable, mon frère" et nous lancer, à la manière d'Hugo "ô insensé qui crois que je ne suis pas toi!". La force d'un cinéaste comme Kubrick est de nous sensibiliser à l'existence d'un "mal" en l'homme. Mais si ce mal est dans l'homme, il n'est pas pour autant impossible de le combattre. Et si cette lutte est rendue extrêmement difficile, c'est que -justement- beaucoup de sociétés en toute hypocrisie s'accommodent fort bien de ce "mal" pour l'exploiter dans divers domaines: les médias, le spectacle, la politique, et comme il est montré dans Orange Mécanique, l'établissement d'un régime autoritaire (le scénario semble suggérer l'arrivée d'un "retour de manivelle" de la part d'un gouvernement conservateur à la limite du fascisme, désireux de frapper un "grand coup") préférant finalement utiliser la violence du délinquant au service de son pouvoir plutôt que de continuer à chercher à la purger de nos sociétés. Terrible constat sur ces sociétés dites civilisées entretenant -à dessein- nos pulsions primitives de meurtre pour renforcer une police, une armée (Full Metal Jacket) ou quoi d'autre encore? Car qui est Alex, finalement? Un être d'une désespérante et terrifiante banalité, dont l'imaginaire, chaotique, laisse s'entrechoquer Beethoven (Alex n'écoute pas de la pop music: à travers ce décalage entre le délinquant, le criminel et la musique classique, Kubrick ironiserait-il sur le lieu commun, le cliché de salon qui veut que l'on ne comprenne pas comment les officiers Nazis pouvaient aimer la "grande musique"?) images et sons issus du cinéma "populaire" (péplums, films d'horreur, comédies musicales), fantasmes érotico-masturbatoires mécaniques, névrotiques où se mélangent allègrement sexe et violence: une caricature à peine poussée de nombreux jeunes dits "difficiles", "en manque de repères", victimes plus ou moins consentantes d'une confusion, d'un terrible désordre, d'un véritable feu croisé de signaux consuméristes digne du pire des conditionnements mentaux (reflet "décalé", à peine décalé du traitement Ludovico) parfois carrément contradictoires (en apparence du moins) dont nous trouvons plus que jamais des exemples de nos jours dans les cités, les banlieues, les ghettos urbains d'ici ou d'ailleurs. Et l'on fera remarquer ici au passage, que ce qui fait -entre autres- "l'actualité" d'Orange Mécanique, c'est que le langage "vernaculaire" des droogies d'Alex évoque tout simplement les "keufs", "meufs" et autre "tassepé" de nos "téci" chéries. Dira-t-on encore que ce film a "vieilli"? Alors le "masque" du "révolté" vole en éclats: Alex qui se cramponne à son illusion de "marginalité" n'est qu'un individu ordinaire aux rêves de puissance d'une effarante banalité. Aussi vulgaires que les projections érotiques fantasmatiques du Bill Harford d'Eyes Wide Shut. Aucune portée politique dans sa révolte, pas même de contenu véritablement "antisocial", encore moins de projet d'anti-société. Au clochard qu'il s'apprête à massacrer et qui vitupère contre la société, Alex demande ce qu'elle a de si "mal" cette société au juste? Moment-clé! Piste essentielle pour comprendre le personnage d'Alex et le leurre que représente sa prétendue marginalité, son caractère "antisocial". Mais voyons Alex n'est pas "contre" la société. Et cette dernière ne saurait se passer d'individus comme lui! Pour justifier la répression de la violence par tous les moyens (L'Angleterre de Kubrick-Burgess semble avoir déjà basculé dans un régime autoritaire), des centaines d'Alex sont un bien extrêmement précieux, promis au destin de bouc-émissaires pour ressouder la communauté des "gens bien". De plus, on n'oubliera pas de rappeler que la plupart des états totalitaires ont toujours "recruté" leurs exécuteurs des basses oeuvres les plus dévoués dans le lumpen-prolétariat, parmi les petits délinquants, les petites frappes trop contentes de pouvoir continuer à laisser libre cours à leur violence, protégés par une autorité, dans leur bel uniforme flambant neuf au nom d'une idéologie dont ils seraient en général bien en peine d'énoncer les principes politiques... (Mais quel individu, même soi-disant, "honnête", pourrait affirmer avec certitude qu'il ne commettrait pas des actes de violence s'il se savait assuré qu'une instance "supérieure" en endossait toute la responsabilité? Souvenons-nous de la fameuse expérience sur la "soumission à l'autorité" de Stanley Milgram, reconstituée dans le I Comme Icare de Verneuil). Qui sont les deux flics qui brutalisent Alex à sa sortie de prison? Ses deux anciens complices! La coïncidence est un peu grosse, elle souligne l'aspect "conte moral" de l'itinéraire d'Alex, mais elle annonce aussi le destin futur du personnage et sa récupération, sa vraie "guérison" lorsqu'à son tour il deviendra lui aussi le bras armé d'un gouvernement ultra-répressif, comme l'annonce sa dernière entrevue avec le ministre venu proposer sa nouvelle fonction à un Alex hébété et heureux, comme à l'issue d'un rêve érotique particulièrement agréable. L'avenir s'offre à lui. Le "monde appartient" à cet Alex-andre Le Grand d'un nouveau genre, comme le "monde appartient" aux GI's de Full Metal Jacket qui chantent à tue-tête l'hymne du club Mickey, comme la globe terrestre qui s'offre à l'Enfant des Etoiles de 2001. Le "triomphe" d'Alex est évidemment une illusion, c'est celui d'une société qui a le dernier mot. Pour le moment, du moins, notre "héros", "frère et ami" se régale àl'avance de ses nouvelles prochaines aventures, savourant ces applaudissements, flattant le banal désir de reconnaissance de cet individu, si proche de nous, terriblement humain.

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

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merci

17 novembre, 2005 10:58

 

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